© Jean Louis CHATELAIN
     
    La préparation de la randonnée : quel parcours ?
     
   
Suivre le chemin salvateur de Guillaumet, certes, mais…. Encore faut-il le situer. Un petit travail d’historien s’impose.
La revue Icare (le n° 162) donne des indications précieuses…. Et pourtant imprécises. Une carte au 1/250 000e y porte le tracé supposé de Guillaumet à partir des recherches faites par le Musée de l’Air d’une part, Edmond Petit et Philippe Mitschké d’autre part, sur la base du récit qu’avait fait Guillaumet à sa famille au sujet de sa dramatique aventure.
Le point de départ de Guillaumet, le site de l’accident du Potez 25, au bord de la Laguna Diamante, au pied du volcan Maipo, est facile à pointer sur une carte, car il est bien documenté (cartes, photos...). Partir de là, et voir ce que la géographie des lieux suggère ou impose, interpréter le récit de Guillaumet et le tracé de la revue Icare, voilà ce qu’il convient de faire. Partir de là, oui, mais pas avec une carte aussi peu précise.
Un ami Argentin, pilote de ligne, rencontré il y a plus de trente ans en Afrique du Nord, est sollicité. Il s’emploiera prestement à trouver les cartes au 1/100 000 et 1/50 000e , et, avec une générosité toute Sud Américaine, m’enverra toutes les cartes de l’Armée d’Argentine débordant largement, du nord au sud, et de l’est à l’ouest, le parcours projeté !
Merci beaucoup Igor.
Soucieux de la réussite de mon projet, et de plus, je crois, un peu inquiet pour ma sécurité, tu as fait prévenance en me téléphonant tes inquiétudes, me mettant en relation avec Monica, d’origine Française, une habitante de Mendoza. Le grand-père de celle-ci, polytechnicien, a dirigé la construction du chemin de fer, et s’est définitivement installé en Argentine. Monica, qui pratique l’Andinisme, facilitera la préparation de ma randonnée. Après m’avoir accueilli, dès mon arrivée à Mendoza, juste avant la visite à Don Juan, elle m’organisera une ultime réunion préparatoire, à l’appui de mes précieuses cartes, avec un jeune guide local, Gerardo.
     
     
   
 
J’avais envisagé, au stade de préparation initiale, de partir du Chili pour rejoindre la Laguna del Diamante en passant par un col au sud du volcan Maipo. Je me suis donc rendu à Santiago du Chili à dessein. Mais après deux jours passés sur place en démarches et recherches diverses (contact avec la club Andin du Chili, déplacement à San Jose de Maipo), il s’est avéré que, d’une part je n’avais pas assez de renseignements documentaires sur la partie Chilienne de la randonnée envisagée, et, d’autre part, la marche d’approche s’annonçait trop longue et incertaine (plus de cinquante kilomètres, fonte des neiges et rupture de ponts, autorisations administratives posant problème etc…). Décision fut donc prise de rejoindre Mendoza par la route, puis d’aller à la Laguna depuis le côté Argentin… En compensation j’aurai l’occasion d’apprécier le parcours routier passant par Portillo, puis le tunnel de Caracoles (pas vraiment sécuritaire, aucune échappatoire, pas de ventilation et visibilité réduite par la pollution!). Nous passerons non loin de la fameuse statue du Christ Rédempteur, qui est proche de l’ancienne route.
La descente sur Mendoza se fait en vue de l’Aconcagua. C’est un axe très fréquenté par d’énormes semi-remorques dans une ambiance rappelant, sur ces pentes raides de la Cordillère, et avec les problèmes de freinage que l’on imagine, celle du « salaire de la peur ».
   

Rendus à Mendoza, et après recueil des conseils et commentaires (rappelant les meilleurs briefings avant décollage !), nous concluons un arrangement avec Gerardo pour une dépose en véhicule tout terrain, le plus haut et le plus loin possible le long de la piste qui, l’été, permet d’aller à la Laguna Diamante.
     
    L'ami américain
     
   
A priori j’avais envisagé cette randonnée en solitaire, mettant toutefois en balance le goût de la solitude et celui de la convivialité, de l’aventure partagée, pesant le pour et le contre au plan de la sécurité… Il s’agissait tout de même de se trouver en milieu hostile sans moyens de secours et sans communications.
Un ami Américain, rencontré lors d’une croisière à la voile le long de la côte Est des USA, et informé de mon projet, a mis un peu d’insistance pour que je l’invite à participer à mon périple, et j’ai fini par accepter. Stuart m’avait en effet paru assez dur au mal pendant cette croisière, mais en revanche il n’avait pas l’expérience de la randonnée pédestre ni de la haute montagne. Il sera hélas en grande difficulté physique et mentale lors de notre aventure.
     
    L'équipement
     
   
Le matériel et les vivres doivent nous permettre de rester en autonomie totale pendant une huitaine de jours dans un environnement de haute montagne. Nous apporterons tout depuis l’hémisphère Nord : Tente d’expédition, piolet et crampons, corde, bâtons télescopiques, raquettes à neige etc… Celles-ci seront peu utilisées et nous aurions pu nous en passer, mais l’incertitude des conditions à venir n’autorisait pas à décider de ne pas les emporter. En revanche les crampons, sur l’avis ferme de Gerardo, seront laissés à Mendoza. Ils auraient été indispensables si nous étions venus depuis le côté Chilien.
     
   
 
Les vivres lyophilisés, achetés en Haute-Savoie, s’avèreront de très bonne qualité. Les pastilles aseptisantes (micropur) ne seront pas utilisées, les Argentins nous ayant assurés de la bonne qualité de l’eau (effectivement très bonne −… sans le goût des pastilles ! −, et nous n’aurons aucun problème gastrique durant la randonnée).
La navigation sur un chemin non connu et si peu documenté me créant quelques soucis, j’ai embarqué, en sus des cartes et boussoles, un GPS.
Après quelques 17000 heures de vol la sécurité n’est plus un souci, c’est un gêne de mutant ! J’ai donc recherché une certaine redondance dans les équipements. C’est ainsi que j’apporterai une boussole et un compas de relèvement, ce qui fait trois instruments au total avec la boussole de Stuart ! Je ferai également le transport (a posteriori superflu !) de batteries de rechange pour le GPS…
Ne disposant pas du référentiel géodésique de mes cartes, et, celles-ci datant de 1946 (année de ma naissance ! ), le GPS ne sera utile qu’en navigation relative, par référence aux différents repères clairement identifiés (azimut et distance à ces repères).
    La rando
     
   
Ainsi le jeudi 21 novembre 2002 nous décampons de bonne heure. Je n’arrive pas à boucler mon sac et dois me rendre à l’évidence : Il pèse trop lourd. Nerveux et dépité, je décide de laisser à Mendoza mon matériel photo (argentique) pour ne garder que la caméra numérique… et j’en oublie les batteries de rechange !
A sept heures trente, j’ai mis tout le monde en retard (bravo pour un fils et petit fils d’horloger !). Nous quittons Mendoza et prenons la route de San Carlos.
Le « pick-up » tout-terrain nous amène au bout de deux heures à San Carlos. Le chauffeur ne manque pas l’occasion de nous faire voir le monument à la mémoire de Guillaumet. Il s’agit d’une stèle, assez récente, glorifiant « l’ange des Andes » et son avion Potez 25. S’y ajoute une plaque rendant hommage aux habitants de Pareditas, en particulier à la famille Garcia.
     
   
     
   
Nous quittons la route pour la piste qui mène à la Laguna del diamante. Elle laisse le rio Yaucha sur notre droite, c’est-à-dire plus au nord. Cette piste chemine le long du gazoduc qui vient du Chili.
Devant nous, la cordillère et la vallée de l’arroyo cruz de piedra.
La région de la Laguna a été classée en parc national par les Argentins. En été, les gardiens du parc en surveillent l’entrée. Il se trouve que le jour où nous arrivons, en cette fin de printemps, les gardiens se mettent en place et nous en rencontrons deux d’entre eux au détour d’un virage. Ils montent à cheval et le chef embarque dans notre véhicule pour nous amener au poste de garde y effectuer les formalités. Celles-ci, gratuites, se traduiront principalement par une décharge de responsabilité.
Nous reprenons la piste, qui entame alors la montée vers la Cordillère. Notre arrivée surprend les premiers troupeaux de guanacos, qui détalent en bondissant.
Avec émotion je pense à Juan.
Les neiges approchent. Nous passons une première congère mais la deuxième entrave la route et décide de notre dépose.
Altitude : 3000 m. Beau temps. Il est 11 heures et demie. Adieu au chauffeur et rendez-vous pris dans neuf jours, à la sortie des gorges du Yaucha !
Nous entamons la marche, sans transition. Montée en lacets et franchissements de congères et de névés. Marche pénible, nous sommes surchargés (mon sac pèse 25 kg), le manque d’accoutumance à l’altitude, la lumière, et bientôt le vent nous enivrent… Pour mon compagnon cela semble difficile. Nous débouchons sur l’altiplano et rencontrons pour la première fois ce vent de la Cordillère qui ne nous quittera guère. Après 4h30 de marche pénible, altitude 3630 m (ce sera en fait le point culminant de la randonnée), basta, c’est assez pour aujourd’hui, la journée a finalement été longue. Il est prévisible que l’installation du premier bivouac prenne un peu de temps. La recherche d’un endroit convenable sur ce terrain un peu désolé ne sera pas facile et nous nous résignons à planter la tente sur un recoin assez rocailleux afin d’y passer la nuit.
Sans surprise, tout s’avère difficile : Planter le tente, faire le dîner, s’alimenter.
     
   
   
Sans surprise non plus, cette première nuit en altitude sera mauvaise. Au petit déjeuner, réparateur, suivra une mise en route laborieuse. Il nous faudra compter en moyenne plus d’une heure entre le réveil et le départ, matériel rangé et bardas sur le dos.
La deuxième journée nous confrontera aux problèmes qui seront quotidiens, et sérieux : Le vent, et la navigation.
La navigation car nous avons alors pour objectif le refuge « casa de piedra ». Il se situe sur le haut des « vegas de Yaucha ». Il est évident que Guillaumet est passé non loin de là. Ainsi depuis ce refuge il est envisageable de faire un aller retour vers la Laguna, le retour nous faisant entreprendre le chemin de Guillaumet. Trouver le refuge n’a pas été facile. Imprécision des cartes, et explications peu évidentes données tant par Gerardo à Mendoza que par les gardiens du parc. Pour rejoindre ce refuge depuis notre premier bivouac il faut traverser les «vegas de los avetruces », quitter le tracé du gazoduc, et descendre en direction des vegas de Yaucha tout en franchissant plusieurs épaulements de relief. Un choix erroné nous fait rebrousser chemin (est-ce un signe, un clin d’œil du destin, Guillaumet ayant eu lui aussi à rebrousser chemin ?)… Ceci nous rallonge d’une bonne heure. Nous finissons par trouver une piste qui descend vers les vegas de Yaucha. Nous passons devant un monument à la mémoire des victimes d’une expédition hivernale de l’armée d’Argentine… Nous sommes assurément en terre inhospitalière. Ce n’est qu’en fin de journée que nous arrivons au refuge, très fatigués, voire épuisé pour ce qui est de mon compagnon, car nous luttons face à un vent de 30 nœuds (avec de terribles rafales qui doivent approcher les 40 nœuds). Ce vent nous dessèche et alourdit notre pas.
Un ami montagnard, d’Annecy, m’avait conseillé d’emporter, à tout hasard, des protections contre le vent…. Je l’en remercie, elles se sont avérées indispensables.
Ce vent m’aura aussi valu de tester ma capacité à sprinter en altitude : Une fois pour rattraper la carte, une autre fois pour la casquette.
     
   
   

Le refuge se trouve être une grotte taillée dans un énorme rocher. L’intérieur n’est pas très avenant. Nous nous en servirons pour faire notre cuisine à l’abri du vent Andin mais nous déciderons de bivouaquer dehors, dans un recoin relativement abrité, contre le rocher.

"Evil sufficient unto the day thereof" sera le commentaire de Stuart, empreint de lassitude.
Au dîner, soupe, curry, compote de pommes… et une vraie rasade de gnôle haut-savoyarde pour entretenir le moral (merci Paulette). Extinction des feux à 20h00.

La troisième journée sera longue, mais gratifiante.
Réveil 6h15, copieux petit déjeuner. Nous ne prenons que le nécessaire pour une journée de marche et quittons le refuge en direction de l’Ouest. Lente montée pour rejoindre le tracé du Gazoduc, passages de névés de plus en plus larges. Ils sont creusés, érodés en quelque sorte par le climat de cette fin de printemps. Je chausserai les raquettes, davantage « for the fun of it » que par nécessité….Traversée des « vegas de los ovejos ». Le point culminant du parcours sera de 3600 m… Tout compte fait l’altitude ne sera pas la difficulté majeure de cette randonnée.

     
   
   
Nous entamons la descente vers la Laguna et décidons d’arrêter la marche vers l’ouest à 3 km environ du refuge de la Laguna et du site, clairement identifiable, où Guillaumet a capoté avec son Potez 25 en ce vendredi 13 du mois de Juin 1930. Il s’y trouve encore des accumulations de neige de 2 mètres d’épaisseur. Et de là où nous sommes, la vue est grandiose et domine le site.
Un vieux mâle guanaco nous toise du haut d’une crête.
     
   
 
72 ans après les faits je communie physiquement avec Guillaumet et les héros de l’Aéropostale.

Casse croûte à l’heure de l’angélus et plein d’eau potable dans le ruisseau tout proche. Elle est excellente sans les pastilles, et nous ne serons jamais indisposés.
Départ et retour vers l’est et le refuge « casa de piedra ».

Nous voici donc sur le chemin de Guillaumet.

J’essaie d’imaginer les conditions hivernales et les questions qu’il a du se poser quant au parcours. Il me semble qu’au départ de la Laguna le parcours que nous empruntons, clairement cap à l’est, s’impose et n’offre pas d’alternative. A relire son récit, il se confirme que ce n’est que le lendemain que Guillaumet se fourvoiera et décidera de rebrousser chemin avant que de s’engager dans le vallon du Yaucha (qui ne va pas tarder à se transformer en cañon impressionnant où il connaîtra les pires souffrances physiques et mentales).

Huit heures de marche pour cette journée mémorable, et toujours ce vent terrible qui vous dessèche les muqueuses et provoque des saignements de nez..
   
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    Quatrième jour, dimanche 24 Novembre 2002
     
 
     
   
 
     
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