© Jean Louis CHATELAIN
     
    Quatrième jour, dimanche 24 Novembre 2002
     
   
 
Nous quittons le refuge «casa de piedra », pleins d’entrain, et entamons la traversée des vegas de Yaucha…. Marche facile, cadre grandiose, troupeaux de guanacos, oies sauvages (cauquen)…L’une d’elles me fait la surprise de quitter sa couvée et de découvrir un gros œuf. Pus loin c’est un gros lièvre qui détalera à notre approche. La faune n’a manifestement pas l’habitude d’être dérangée par l’homme.

prendre un premier bain de pieds…. Il y en aura d’autres !
Progression lente, pénible, longue à suivre le cours d’eau qui se resserre de plus en plus. Nous voici à un passage à gué, encordés, avec de l’eau jusqu’à la ceinture. Puis un autre, en technique d’escalade, sans vraiment d’assurance…

Cela devient scabreux. Mon compagnon perd confiance… et le moral (« Jean-Louis, we should not take any chance you know »).

L’après-midi s’éternise, il est à la traîne. Le problème est que nous ne trouvons pas d’endroit convenable pour bivouaquer. Je décide qu’il faut forcer le train avant la nuit. Je pose mon sac et retourne aider mon camarade à l’arrière.

A peine suis-je en train de charger son sac que dans mon champ visuel surgit un boulet… Chute de pierres !

Toute la journée je m’en suis méfié, et au premier relâchement je me fais prendre, le bruit du torrent ayant couvert celui de l’éboulis ! Une espèce de réflexe salvateur me fait néanmoins esquiver un tant soit peu et éviter le pire. Je me prends quand même le boulet (environ 15 kg) en plein thorax et me trouve projeté à terre, le souffle coupé.

Nous sommes à 2 jours de marche, bon train, du refuge des gardiens, n’avons pas de liaison téléphonique, et je mesure instantanément la fragilité du destin. Je reprends mes esprits devant un compagnon démoralisé.

Nous reprenons la marche, et trouvons enfin un endroit acceptable, au bord du torrent, pour bivouaquer…. J’avale les anti-inflammatoires et les antalgiques (merci à mon copain et toubib René-Pierre, qui m’a préparé la trousse).

Je m’en tire avec 2 côtes cassées, et la jouissance physique, qui durera deux mois.

Mais tout compte fait la nuit est assez bonne.
   
    Lundi 25 Novembre 2002
     
   
Terrain devenant très difficile, et très lente progression. Mon camarade va manifestement à l’épuisement. Le cours du Yaucha prend des allures de cañon. Il n’y a pas de sentier naturel, la faune ne s’attarde manifestement pas dans les parages (aucun pâturage). La marche se fait au milieu des enrochements et dans les pierriers. Il faut sans cesse évoluer entre la partie basse et la partie haute des berges, bien entendu les dénivelées s’accumulent et les efforts sont significatifs pour assurer le pas sur ce type de terrain. S’y ajoutent quelques traversées du torrent, à gué ou pas… Et celui-ci devient tumultueux.
     
   
     
   
Je me rappelle le récit de Guillaumet sur cette partie du parcours : Il avait fini par décider de marcher dans le lit du torrent, prenant appui sur la neige et la glace… et prenant régulièrement des bains de pieds dans l’eau glacée, se blessant les chevilles sur les rochers !
Au prix de quelques travaux de terrassement et avec des lauzes j’aménage un coin acceptable pour le bivouac, à l’abri des chutes de pierres, ni trop loin, ni trop près du torrent.
Je relève la position au GPS et prends un coup au moral : Nous n’avons progressé que de 2,7 km «sur l’ortho» ! Je ne sais quelle distance effective nous avons parcourue car nous avons passé un bon bout de temps à « crapahuter ». Je commence à me rendre compte que la sortie du cañon n’est pas gagnée, et n’est en tout cas pas pour demain.




Mardi 26 Novembre 2002


Nuit excellente… et moral en hausse au réveil. Départ à 8 heures. J’ai dans l’idée de prendre la seule échappatoire que m’avait signalée Gerardo, le guide de Mendoza, et de ne pas poursuivre jusqu’à la sortie du cañon. Compte tenu de mes côtes cassées, de la fatigue physique et mentale de mon compagnon, il me paraît alors préférable de rejoindre les replats hauts du cañon pour cheminer vers le but.

Hélas l’échappatoire en question ne sera identifiée qu’a posteriori, et nous sommes engagés plus avant dans le cañon lorsque j’en prends conscience et décide, contre l’avis de mon compagnon, de faire demi-tour. Est-ce un autre signe : Un énorme condor est venu tournoyer au-dessus des intrus que nous sommes sur son territoire, et il m’a même gratifié de deux passages de type «chasseur bombardier»… Impressionnant ! Il doit bien faire 3 mètres d’envergure. Je lui montre à tout hasard la pointe en tungstène de mon bâton télescopique ! Sa voilure était tout simplement magnifique lors de la ressource
     
   
   
Il n’est que 13 heures lorsque nous rejoignons le confluent d’un petit torrent qui, lui seul, permet l’échappatoire au cañon, et, face à l’incertitude sur la difficulté à rejoindre les hauteurs, je trouve préférable de faire le campement, et de partir seul en reconnaissance tandis que mon camarade se reposera.
Bien m’en a pris car je passerai deux heures sur un parcours erroné avant d’identifier le bon chemin.



Mercredi 27 Novembre 2002

Mauvais bivouac, trop venteux. Nous avons une journée de retard sur le programme et devrons raccourcir si nous voulons être au rendez-vous et ne pas susciter d’inquiétude à Mendoza, voire déclencher tout un pataquès… Monsieur le Consul de France, informé malgré moi de cette randonnée, et en étant très soucieux, ne tarderait sans doute pas à déclencher les secours.

Il a gelé cette nuit. Et le vent a rempli de sable toutes nos affaires… et donc nos gamelles. Avant de décamper nous brûlons tous nos déchets incinérables, ce qui nous laisse un peu de volume disponible dans nos sacs. Nous prenons donc l’option de retour par le plateau surplombant le cañon. Magnifique ascension au-dessus du Yaucha et point de vue magnifique (combien les aviateurs aiment voir les choses d’en haut !).

Nous cheminons sur le plateau intermédiaire et devons lutter de nouveau contre des vents terribles. A mi parcours entre le lieu du dernier bivouac et la sortie, bien visible, du cañon du Yaucha, il devient évident que nous n’avons plus de possibilité de redescendre au niveau du torrent. Nous prenons donc l’option de regagner le refuge des gardiens et ainsi de rejoindre la piste. Nous entreprenons alors la montée vers le col (portillo ancho). Montée contrariée par des rafales de vent à nous coucher par terre et à faire une fois encore perdre le moral à mon compagnon. Dernier point de vue superbe sur le cañon baigné d’une brume jaunâtre (il s’avérera qu’il s’agit de fumées provenant des incendies de broussaille dans la pampa). Passage du col. Descente très raide en direction de l’arroyo de la cruz de piedra. A mis hauteur nous apercevons les premiers êtres humains rencontrés depuis 7 jours : Il s’agit des gardiens qui rentrent de la Laguna, où ils ont été déblayer leur refuge. Dernier bivouac au bord de l’arroyo. Nuit très fraîche.



Jeudi 28 Novembre 2002

Nous rejoignons par la piste (c’est du gâteau !) le poste des gardiens. L’accueil est chaleureux, au maté. Hernan, le chef, va prévenir par radio de notre retour et du changement de lieu de rendez-vous.

Nous passerons deux jours ici en totale convivialité avec les gardiens. Nous offrirons le « chivito », jeune cabri que l’un des gardiens ira chercher (à cheval) à la ferme la plus proche et que nous ferons au barbecue, arrosé au vin rouge d’Argentine, qui coulera d’une grande bouteille de coca ! Nous mettrons à profit la journée restant disponible pour une dernière randonnée vers la sortie du Yaucha, sur l’autre rive, et non loin de la cabane de bergers de la famille Garcia (elle est aujourd’hui en ruines). Je décline l’offre d’y aller à cheval, à cause de mes «costillas fissuradas y muy dolorosas».

C’est à pied qu’une dernière fois nous irons voir le chemin de Guillaumet.

Une dernière fois aussi un condor viendra tournoyer au loin en guise d’adieu. Les guanacos, eux, sont là-haut, dans les vegas, loins du monde d’aujourd’hui.
     
   
   

Epilogue

Guillaumet ne s’est jamais couché de peur de mourir de froid. Il s’asseyait sur le bord de sa valise, afin de se garder de l’envie de s’allonger. Ce qu’il a fait, assurément, aucune bête ne l’aurait fait. Je mesure mieux maintenant les souffrances qu’il a endurées. L’hiver, le froid, sans équipement adapté (il assurait les passages glissant avec l’ouvre-boîtes de sa ration de survie !). Il a tenu bon. Mais comme l’a écrit St-Ex, c’est aussi par respect des camarades pilotes, pour ne pas les décevoir, que Guillaumet a tenu bon. Que reste-t-il aujourd’hui de cet esprit là ?

Le confort de la vie moderne éloigne de l’épreuve physique.

De cette randonnée que j’ai faite dans des conditions tellement plus faciles, il apparaît un point commun avec celle de Guillaumet, selon le récit qu’il en a fait: La partie en altitude est de loin la plus facile. L’épreuve véritable, c’est le terrible Yaucha.

Guillaumet suggérera de ne plus utiliser la route Sud, seulement la route Nord, qui avait l’avantage d’être proche du chemin de fer Transandin, ce qui rendait un sauvetage plus probable.

Le génie de la langue espagnole est d’emprunter le même mot pour la destination et le destin : « Destino ».

Oui, Guillaumet a rejoint son « destino » en ce mois de Juin 1930. Son destin d’homme, libre de choisir de ne pas mourir, et aussi de rejoindre Mendoza et les camarades de la ligne, pour que celle-ci passe, malgré les tempêtes.

Moins de deux semaines après, il reprenait le manche entre Buenos Ayres, Mendoza et Santiago du Chili.

Ces hommes là ont, bien malgré eux, marqué leur territoire en Argentine. Combien savent aujourd’hui que des sommets de la Cordillère des Andes portent les noms de Mermoz, St-Ex, Guillaumet ?

Mais ces hommes là n’agissaient pas pour la gloire. Ils avaient, plus probablement, cette sagesse de comprendre qu’ils vivaient une vie accomplie, dont ils étaient leurs propres témoins, les seuls témoins véritables.

Simplement, comme l’a magnifiquement écrit Andreï Makine «ils regardaient le ciel sans blêmir, et la terre sans rougir ».

Mermoz a ainsi pu écrire : « Après chaque grand voyage, où j’ai seulement affaire aux éléments et à mes camarades, je reviens plus sain, plus fort, meilleur. Je rapporte les bienfaits des roches de Natal où je vis comme un sauvage, quasiment nu. Et il faut, d’ordinaire, quelques jours aux petitesses de Paris pour abîmer mon bonheur ».

Pierre Clostermann, autre grand acteur et témoin de la geste aéronautique, a modestement compris la vanité de cette vie risquée et l’a superbement écrit en épilogue à son livre « le grand cirque » :
« Le grand cirque est parti. Le public a été satisfait. Le programme était assez chargé, les acteurs pas trop mauvais, et les lions ont dévoré le dompteur.
On en reparlera en famille quelques jours encore.
Et même quand tout sera oublié - la fanfare, le feu d’artifice et les beaux uniformes -, sur la place du village subsistera encore l’auréole de sciure de la piste et les trous des piquets.
La pluie et l’oubli en effaceront vite les traces.
»

Il me semble que trop peu est dédié au souvenir de l’Aéropostale. Certes il y a les écrits, magnifiques, héraldiques, presque iconographiques. Mais la substance de cette aviation là pourrait être palpable dans un musée dédié à cette épopée. Or il n’y a de ci, delà, que quelques lieux de souvenir, quelque modeste musée.

Il y avait un projet de musée de l’Aéropostale à Mendoza. Je n’ai hélas pas été entendu lorsque j’ai proposé qu’un Concorde y soit livré. Il aurait pu côtoyer le dernier Laté 25 existant encore et se trouvant actuellement à Buenos Ayres, sur le terrain militaire de Moron... Aux extrêmes de cette époque révolue, deux symboles de l’esprit pionnier des ailes Françaises.

Mais, signe des temps, la nostalgie n’est plus ce qu’elle était.

Baveno, Lac Majeur, Octobre 2004
© Jean-Louis CHATELAIN





Remerciements

Merci à mes amis Argentins, qui ont tant raison d’être fiers de leur beau pays.

Merci Igor pour l’aide précieuse dans la recherche des cartes, pour tes conseils de prudence, pour ton accueil à Buenos Ayres, et pour ta générosité.

Merci à Monica, qui partage ces deux belles cultures française et argentine, qui a su établir les contacts utiles et aider efficacement à l’organisation, et qui a su contenir les inquiétudes du Consul !

Merci à mes copains toubibs d’Annecy, René-Pierre. et Christophe, pour leurs conseils, tout particulièrement René-Pierre pour la fourniture de la trousse d’urgence.

Merci à Nicole et Sophie de St-Jean de Sixt, pour leurs conseils dans le choix du matériel.

Merci à Alain pour les photos qu’il m’a transmises et qu’il a prises lors de ses survols en 777.

Merci à la revue Icare pour l’inestimable source historique qu’elle représente.

Merci à Christian qui m’a accompagné par la pensée et avec qui j’aurais aimé partager cette aventure.

Last but not least Merci à ma famille, qui m’a sans doute compris…..et a souffert de ne pas partager.

     
 
     
   
 
     
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