© Jean Louis CHATELAIN
     
    Un vieux projet
     
    Que d’émoi lors du premier survol de la Cordillère des Andes en Boeing 707 au début des années 70 ! Le trajet entre Buenos Ayres et Santiago du Chili découvre la beauté de ce site empreint de l’histoire de l’Aéropostale.
     
   
    D'une saison ...
     
   

C’est la même route qu’empruntaient nos glorieux pionniers :

La route du Nord à l’aller : Passage d’un col, le portillo de la Cumbre, proche de l’Aconcagua (7000 mètres), le plus haut sommet des Amériques.

Au retour, la route du Sud, survolant la Laguna del Diamante et le volcan Maipo. Elle est éloignée de toute présence humaine, à la différence de la route Nord proche du chemin de fer Transandin.

Je m’étais promis d’y venir admirer les lieux, un jour, d’en bas… Et quoi de plus motivant que d’ajouter à un projet de randonnée sportive un peu du sel de l’histoire…
Pourquoi ne pas entreprendre de refaire le parcours pédestre qu’avait fait Guillaumet après son capotage au bord de la Laguna en juin 1930 ?

Les années ont passé, et s’en sont suivis d’autres survols, en 747 , en A340 …. La forme physique n’étant pas éternelle j’ai enfin décidé, en 2002, de mettre ce projet à exécution.

     
   
    ... à l'autre.
   
   
Don Juan
     
   

… Il faut de l’imagination, fertile, pour tenter de revivre ces moments notoires et émouvants de la vie des pionniers de notre aviation… De cette aviation dont les pilotes Français sont légataires. De ce bel héritage qui nous vient de Jean, Antoine, Henri, Marcel, Paul et les autres1…Il est fait tout d’audace, d’abnégation, de force physique et mentale, du mépris de l’éloignement, de tant d’autres qualités d’homme… Et du courage par-dessus tout.

Fermons les yeux. Oublions cette part de la vie moderne qui a réduit les ailleurs, oublions le présent, et notre monde en phase d’acculturation − vers une mono culture matérialiste…

Nous sommes en Argentine.

Là haut, la Cordillère des Andes. Vue de la Pampa, une muraille. Derrière, le Chili.

C’est l’hiver, en ce mois de juin 1930. Les perturbations se succèdent, rudes, avec leurs tempêtes de neige, le froid… Et ce vent terrible qui vient de là haut, très haut, très froid, pour ensuite balayer la Pampa.

La bourgade de San Carlos n’est pas très loin. Deux à trois heures … à cheval.

Sur ces premiers contreforts des Andes, une bergerie…. Non, pas une bergerie… La bergerie, la plus reculée, la dernière avant la solitude du climat perdu.

Une très humble famille de gauchos partage la pièce unique. Dehors, quelques têtes de bétail. Des chèvres.

Le fils, Juan, a quatorze ans.

Ce n’est pas un décor bucolique. C’est son cadre de vie : la bergerie, derrière, la Cordillère, là haut, la Pampa, au loin, et, en contrebas, l’impétueux, l’austère, le ténébreux Rio Yaucha.

Ses eaux, à ce moment recouvertes de neige et de glace, viennent des vegas où, l’été, il est permis à Juan d’aller chasser le Guanaco avec son père, quelque part, beaucoup plus haut, en direction de la Laguna Diamante.

Une vision irréelle, hallucinante, saisit l’adolescent.

Le diable, oui, c’est assurément le diable qu’il voit, en bas, en face, sur l’autre rive, le visage un peu noir, le cuir du serre-tête par-dessus.

     
  Mendoza, novembre 2002
     
   
Une chambre d’hôpital, commune à trois patients. L’Argentine ne va pas bien, pays ruiné par une classe politique déconsidérée, aux seuls intérêts marchands. Le petit homme en face de moi s’appelle Juan Garcia. Depuis qu’en 2001 le Président Chirac lui a octroyé la légion d’honneur, on l’appelle Don Juan. Mais sa préoccupation est de se faire poser, demain, un stimulateur cardiaque. C’est ainsi que, pressé entre cet événement et mon agenda, je lui rends visite, dès mon arrivée à Mendoza, sur les conseils de Monica, mon hôtesse Franco‑Argentine.
     
   
 
Don Juan a quatre vingt six ans, et rien ne laisse paraître quelque souci de santé. L’œil est vif, le port altier, le cheveu dru est soigné, comme il convient au pays des tanguistas.
Il me conte alors les quelques instants qui ont marqué, pour la vie, ce jeune garçon qu’il était, il y a si longtemps, près de cette bergerie dominant le Rio Yaucha.
Henri Guillaumet, hallucinant et halluciné, le diable en personne, lui fait signe. Juan court chercher sa mère. Guillaumet crie quelques mots, assourdis par le bruit du torrent, et qui se perdent dans l’écho :
Aviado ooo oo o rrr rr r, perdido ooo oo o…
Madame Garcia, qui, chose exceptionnelle, avait entendu passer plusieurs avions dans les jours précédents, comprend de suite, et, surmontant un instant de crainte, va aider Guillaumet, qui s’était écroulé, à se relever et lui fait traverser le Yaucha à dos de mulet.
Don Juan poursuit : L’entrée dans la bergerie, Guillaumet assis à la table…. Un verre de lait de chèvre lui est tendu. Il le boit d’un trait. Il en redemande un, qu’il boit goulûment. Puis on lui tend un verre d’alcool fait maison.
 

Il le boit et tombe alors d’épuisement, endormi face contre la table….
La suite est connue… Les soins de madame Garcia tandis que monsieur Garcia va informer la police de San Carlo. La nouvelle qui propage, à Mendoza, à Santiago, à Buenos Aires… et au-delà des océans.

«Guillaumet vivant !» s’est écrié un Argentin à l’adresse de Saint-Ex dans la salle du restaurant de l’hôtel Plaza de Mendoza… Et Saint-Ex qui saute dans un avion et vient se poser (et presque capoter !) dans un champ près de San Carlos. Guillaumet qui part de la bergerie à cheval (sur le chemin on lui rend son manteau d’aviateur dont, à épuisement, il s’était allégé et qu’il avait abandonné au bord du Yaucha. Il est déjà reprisé par les gauchos !).

Adieu Juan, merci pour l’émotion intacte que tu as su garder et que tu m’as transmise.
Quand je t’ai dit que j’allais partir demain sur le chemin de Guillaumet, ton œil s’est enflammé et tu m’as fait promettre de penser à toi à la vue du premier Guanaco… je n’y ai pas manqué.
     
    1Mermoz, Saint-Exupéry, Guillaumet, Reine, Vachet
   
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