Froufroutement coquin du FBVFA

Comme pilote chez Air France, puis, plus tard, chez Airbus Industrie, j’ai eu le plaisir et le privilège de faire de nombreux vols à destination de New York Kennedy, sur divers types de machines, 707, 747, A310, A340, A330, et, bien sûr, Concorde.

Me trouvant qualifié comme commandant de bord sur Concorde, Il m’arrivait de croiser les copains (certains un peu jaloux, il faut le dire) qui m’interpellaient pour dire : Tu vas encore à New York ? J’étais tenté de leur répondre : «Je vais encore faire un vol sur Concorde».

Ces traversées entre Paris et New York étaient toutes mémorables. Il n’y en avait pas deux pareilles.

Non, ce n’était pas la routine. Et comment pussent-ils être routiniers ces vols entre Paris et New-York ?

D’abord, il y avait toujours cette relation interne à l’équipage, atypique, laquelle sur Concorde, à la différence de ce qu’elle était sur les autres types d’avion, n’était pas à construire, car préexistaient cette solidarité et cette complicité si particulières entre les professionnels du transport aérien supersonique. Pour avoir été le correspondant de British Airways après la reprise des vols en 2001, ainsi que l’exigeait la commission d’enquête, il m’est permis d’affirmer que cette complicité était également naturelle avec nos collègues Anglais, qui ne sont pas tous perfides !

Ensuite il y avait ce contact avec nos passagers, au salon, et ce privilège pour nous de rencontrer, presque à chaque départ, quelque célébrité parmi ces happy few du voyage à Mach 2.

Et puis, il faut bien le dire, ces vols, au plan technique, n’étaient pas de tout repos (ni au plan commercial d’ailleurs, il n’était que de voir le travail des PNC qui faisaient deux services, et en particulier le numéro de haute voltige du steward au galley avant).

En effet, les faibles réserves de carburant à l’arrivée nous garantissaient un certain stress de situation ! La conduite du vol méritait une attention toute particulière pour préparer les décisions à prendre en cas d’anomalie technique (points de non retour, points équitemps, points de ralliement). Et, s’agissant d’un avion complexe, avec ses trois domaines de vol, subsonique, transsonique, et supersonique, avion par ailleurs vieillissant, il n’était pas rare de devoir traiter des pannes techniques.

Ce 27 février 2003, nous nous trouvions en accélération supersonique au-dessus de la Manche, par beau temps, aux alentours de Mach 1.8… C’est alors que nous avons ressenti une vibration de l’avion, brève mais sensible, comme un froufroutement.

Tous trois, au cockpit, avons focalisé notre attention sur les moteurs, car l’anomalie assez classique pouvant survenir était un pompage d’entrée d’air réacteur, phénomène dû à une perturbation du flux dans l’entrée d’air d’un moteur, lequel en général contaminait le moteur adjacent, et qui se traduisait concrètement par une espèce de détonation, à vrai dire assez spectaculaire mais très bien couverte par nos procédures.

Nos valeureux passagers n’appréciaient guère. Il faut dire que la procédure imposait de réduire brutalement la poussée des quatre réacteurs, ce qui générait un ressenti de descente d’urgence, et menaçait les portions de caviar de choir des tablettes repas (quel gâchis !).

En général l’officier mécanicien changeait rapidement de système de régulation des entrées d’air, et l’on récupérait une situation normale de vol supersonique après avoir remis en poussée les réacteurs.

Le bref phénomène que nous venions de ressentir sur cette 002 du 27 février 2003 n’a eu aucune suite au niveau de nos moteurs. Pour autant cette anomalie n’avait pas échappé à nos camarades PNC de sorte que l’hôtesse en poste à l’arrière m’a appelé par interphone pour s’en émouvoir. Mais de fait, après scrutation de tous nos instruments, nous constations qu’aucun système de bord ne témoignait d’un quelconque dysfonctionnement.

La décision de continuer le vol allait donc de soi, et nous entreprîmes la traversée à Mach 2.

3 heures et 59 minutes après avoir quitté le parking à l’aéroport CDG, nous arrêtions nos moteurs au terminal de l’aéroport JFK, après 2 heures et 51 minutes de vol supersonique durant lesquelles, de manière très anecdotique, nous avions eu la panne de notre alternateur numéro 1.

Je dois dire qu’après l’atterrissage, une conversation entre l’ATC et des pilotes américains n’avait pas spécialement retenu mon attention car ils parlaient de prendre des photos de notre avion, ce qui ne nous interpellait pas particulièrement. En effet, durant nos manœuvres à JFK nous étions un peu les vedettes de la plateforme et tout le monde nous regardait (et nous entendait, surtout au décollage !!!).

Nos passagers sitôt débarqués, le chef d’escale fit alors irruption au cockpit avec cette question : « vous êtes au courant ? ». Réponse : « Euh, au courant de quoi ? ».

     
   
     
    Nous avions perdu une partie de la queue de l’avion, à savoir une bonne part de la gouverne de direction inférieure !
     
   
Eh bien croyez le, les inspecteurs de la FAA étaient déjà au pied de l’avion, et nous n’avions même pas été informés par l’ATC auquel nous n’avions aucune raison de signaler une anomalie qui ne nous était pas apparue…

Ainsi va le monde.

Le vol retour sur Paris fut hélas annulé ce jour là.

L’avion fut transféré dans un hangar, et réparé dans les meilleurs délais par une équipe venue de CDG avec une gouverne de rechange.

Il s’était produit, du fait de l’échauffement cinétique, un phénomène de délamination et de déchirement du revêtement de la gouverne. La sécurité du vol n’a pas été affectée par ce dommage, l’intégralité de la surface des gouvernes de direction n’étant indispensable au contrôle de l’avion qu’en cas de panne moteur à très basse vitesse au décollage.

Dans l’histoire du Concorde, un événement similaire était survenu chez British Airways… Pas de jaloux !
   
     
   

Hélas pour nous tous l’époque est passée au principe de précaution et cet événement rarissime a engendré une nouvelle et contraignante consigne d’entretien (dépose et inspection fréquente de la gouverne) qui a contribué, avec toutes les autres contraintes d’exploitation, à la décision finale d’arrêt d’exploitation.

A cette posture compréhensible mais assez technocratique il est permis de rappeler le mot de la fin d’André Turcat :
« Concorde, ce furent 30 années de rêve qui n’entrent pas dans les livres de compte »

     
   
     
    Concorde FA à la retraite au musée à Washington
 
     
   
 
     
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